Quatrième de couverture
"La guerre des mondes s'est hissé depuis longtemps au rang de ces œuvres exceptionnellement rares, écrites par des hommes dont on
n'a même plus besoin de rappeler le nom — L'Iliade, L'Odyssée, les Évangiles — , qui ont transcendé leur origine littéraire pour devenir des mythes fondateurs, des histoires archétypales de notre
inconscient collectif, tout aussi publiques que n'importe quel fait historique, et légitimement adaptées dans d'innombrables versions au gré des peurs et de l'esprit du temps." Norman
Spinrad
Avec Jules Verne, Herbert George Wells (1866-1946) est considéré comme le père fondateur de la
science-fiction contemporaine. Il a donné à ce genre littéraire nombre de ses thématiques et certains de ses inoubliables chefs-d'œuvre (La machine à explorer le temps, La guerre des mondes,
L'île du docteur Moreau, L'homme invisible).
Incontournable ! En tant que librairie spécialisée en science-fiction, je me devais de présenter un grand classique, un monument de la
littérature anglosaxone, un incontournable de la SF. Parce que je vous avais présenté le roman de Johan Héliot, La guerre des mondes n'aura pas lieu, qui m'avait grandement donné
envie de relire le texte original de H.G. Wells, je me suis donc replongée dans cette oeuvre majeure. Ce qui m'a surprise, mais je pense qu'à ma première lecture il y a quelques
années, j'avais déjà ressenti ça, c'est sa modernité, son intemporalité. Souvent imité, adapté, contourné et jamais égalé, c'est ainsi qu'on peut définir l'oeuvre de
Wells.
Le roman introduit l'idée que depuis longtemps déjà les humains, sans en être conscients, trop soucieux de leurs propres existences, sont observés par les martiens. L'Homme pouvait au mieux
imaginer que des êtres inférieurs vivaient sur d'autres planètes et sur Mars en particulier, mais de là à penser que ces étrangers venus d'ailleurs puissent avoir l'intelligence des conquérants,
Il en était loin. Le narrateur est en fait un des témoins de l'invasion martienne qu'il nous raconte six ans après les faits.
Ce roman aurait été influencé par une conversation entre Wells et son frère sur la colonisation. L'Empire britannique est à la fin du XIXe siècle à son apogée, mais l'écrivain,
en homme de gauche n'est pas convaincu par les bienfaits de l'expansion du Royaume. La guerre des mondes devient une métaphore pour critiquer le Colonialisme et placer l'homme conquérant de
l'autre côté de la barrière, là où cette fois c'est lui qui serait exploité, asservi. D'ailleurs, même la maladie qui fait disparaître les martiens est une référence à toutes celles que les
blancs ont apportés dans les nouveaux territoires et qui ont été dévastatrices pour beaucoup d'indigènes.
Autre contexte historique : l'Allemagne s'est unifiée et armée et l'Europe redoute déjà qu'elle ne cherche à s'étendre. L'oeuvre de Wells a donc ceci de prémonitoire qu'elle
matérialise cette crainte et va devenir dans les années qui suivirent sa publication, et encore aujourd'hui, une autre métaphore celle de toutes les formes d'invasions et de persécutions que
l'Histoire va vivre à partir de là. A la relecture de ce texte, je réalise à quel point il était très militarisé. Dans le but certain de montrer qu'une profusion de moyens technologiques n'est
pas toujours la solution au problème. L'armée britannique sera effectivement bien impuissante devant la technologie des martiens, tout comme la bombe atomique larguée cinquante ans plus tard dans
l'adaptation cinématographique de Byron Haskin.
Il est assez difficile de dissocier l'image de cette Fumée Noire asphyxiante, ce fog empoisonné libéré par des obus expulsés des tripodes, des gaz envoyés dans les chambres du même nom, quelques
années plus tard dans les camps de concentrations. Mais cette même fumée était aussi annonciatrice d'une guerre plus proche d'elle, celle de 14-18 qui inaugura une nouvelle forme de conflit, la
guerre bactériologique.
Toutes les scènes d'exode, de panique, ou même d'actes héroïques (plus rares) sont indéniablement universelles. Wells, n'a pas seulement écrit un roman de "romance scientifique",
il a surtout transcrit un témoignage intemporel sur les horreurs de la guerre dont la structure narrative tient beaucoup du journalisme. Le récit est le rapport de ce qui est pleinement vécu par
le narrateur et ensuite par ce qui lui a été rapporté. Les blancs ne sont pas comblés. Tout ce qui pouvait se passer ailleurs, n'est expliqué que si un autre témoin l'en informe. De même que la
presse, omniprésente ne pouvait couvrir tous les fronts. On peut aisément comprendre que pour rendre son récit cohérent, le narrateur ait attendu un certain nombre d'années avant de publier son
témoignage. Le temps d'évacuer les traumatismes mais aussi de réunir assez d'éléments pouvant enrichir sa propre expérience.
Quant à la spéculation scientifique, elle est en rapport avec les connaissances de l'époque. Peu de temps avant l'élaboration de son récit, Wells s'était intéressé aux travaux de
l'astronome italien Schiaparelli qui pensait avoir identifié des canaux artificiels à la surface de Mars. Si l'on comprend néanmoins que l'auteur utilise les martiens (dont l'existence à l'époque
est fantasmée mais non avérée) comme métaphore de ce qui a été écrit plus haut, il respecte quand même quelques données scientifiques, principalement d'ordre astronomique, afin de donner une
crédibilité aux évènements. On reconnaîtra aussi dans le Rayon Ardent, le rayon-X découvert en 1895 par le physicien allemand Wilhelm Röntgen et quelques théories de l'évolution
de Darwin (1859) quant à la supériorité martienne.
Note : pour ceux qui connaissent désormais mon blog personnel consacré à la Planète Mars dans la culture populaire, vous pourrez retrouver cette critique
enrichie d'un résumé approfondi, d'illustrations et de compléments documentaires notamment sur les adaptations BD ou cinéma.
Sélection dans le cadre de notre table ronde du 12 avril 2014 - En savoir plus
H.G. Wells La guerre des mondes (The war of
the Worlds) (Folio)
Mots-clés : guerre, invasion, Londres, Mars, martiens, XIXe/début XXe