Quatrième de couverture
Jones révoyait l'avenir. Non pas à la façon vague d'un diseur de bonne aventure, mais de manière précise, dans tous ses détails.
Il se souvenait de l'avenir. L'ennui, c'était que son don était limité à une année. Et le drame, c'était qu'il ne pouvait rien changer à ce futur certain.
Il savait ce qui allait lui arriver. Et ce qui allait arriver à toute l'humanité en un temps où d'étranges créatures, les
dériveurs tombaient de l'espace interstellaire sur toutes les planètes du système solaire, y compris la Terre.
De quoi devenir un Prophète, un Messie, bouleverser l'ordre déjà ébranlé d'une Terre mal en point et la charger des chaînes de
l'avenir. Pour l'Eternité ?
Profitons
de la réédition en poche chez J'ai Lu, des romans de Philip K. Dick pour revenir sur ses premiers romans.
Les lecteurs de Philip K. Dick sont rarement occasionnels. L'engouement que génère cet auteur est à la hauteur de ses écrits. Pourtant, il faut admettre que s'il est un excellent
et incontournable novelliste (je ne cesse de le crier haut et fort), ces romans sont beaucoup plus irréguliers. Cela est souvent dû à des textes courts que l'auteur, pour des raisons parfois
alimentaires, parfois plus noblement justifiées, transforme en version longue et ce n'est pas toujours réussi. En 1956, quand Dick publie Les chaînes de l'avenir, il a
déjà écrit bon nombre de nouvelles mais seulement deux ou trois romans. Loterie solaire qui passe pour être son premier roman fait les frais d'une idée de départ très bonne, tout comme
il le fera en 1967 avec A rebrousse-temps (deux romans construits exactement de la même manière), mais qui s'essouffle à la moitié du récit. On peut presque leur préférer Les pantins
cosmiques (1957), seul roman fantastique de l'auteur, de facture très classique mais efficace qui a peut-être influencé le grand Stephen King (il faudrait lui demander
).
Les chaînes de l'avenir se présentent alors comme étant le premier roman vraiment abouti de l'auteur même s'il souffre
encore d'imperfection. La faute en incombe sûrement à avoir voulu y intégrer beaucoup d'idées qu'il faut ensuite pouvoir suivre. Or, contrairement à ce que j'ai pu lire de critiques peu
élogieuses, je trouve que compte tenu du démarrage approximatif de l'auteur dans le domaine du texte long, celui-ci est rondement bien mené car il retombe sur ses pieds et la fin est digne
d'une très bonne nouvelle "à chute".
Parce que ce roman traite autant de précognition, de génétique, de mutants, de Vénus, d'une Terre dévastée par la guerre, de
totalitarisme, d'exploration spatiale que d'organismes interstellaires, tout cela déjà dans un décor futuriste à la Blade Runner, on peut aisément dire que tous les jalons de l'oeuvre
dickienne sont posées ici. Mieux encore, le roman se lit d'une traite, sans temps mort, sans relâchement et sans jamais saboter chacune des idées exposées (contrairement à Loterie
solaire, ou pire, à A rebrousse-temps).
Parmi les passages les plus intéressants, on peut retenir la scène de la boîte de nuit avec le couple d'hermaphrodites qui passent
à leur convenance d'un sexe à l'autre. Un autre passage m'a renvoyée au roman de Frederik Pohl, L'homme-plus, pour la similitude des expériences scientifiques qui
consistent à modifier l'Homme pour le rendre adaptable à un environnement nocif. Si pour Pohl, il s'agissait de Mars, ici il faut permettre à une nouvelle espèce d'humains,
adaptés pour la circonstance, de vivre sur Vénus.
La difficulté du roman pour l'auteur a été sans doute de s'enfermer avec un personnage doué de précognition. Sa capacité à voir un
avenir limité à une année sans pouvoir le modifier, impose un déroulé prédéfini, immuable qu'il a dû être difficile de maintenir au risque de se heurter à des paradoxes ou à des incohérences.
Dire qu'il n'y en a pas serait sans doute un peu surévalué, mais je n'ai rien vu de notable. Finalement, Dick se sort assez bien de cet exercice qu'il renouvellera assez souvent,
en se laissant néanmoins plus de liberté, dans de nombreuses nouvelles impliquant le Temps ou/et la précognition (Minorité Report, L'Homme doré etc...)
Alors oui, il manque peut-être un peu d'émotion, un petit quelque chose qui fait que ce n'est pas un chef d'oeuvre mais cela reste
en attendant de lire les suivants (j'ai choisi de lire Philip K. Dick dans l'ordre chronologique, intercalant nouvelles et romans, pour mieux appréhender l'évolution de son
écriture), un très bon roman.
Philip K. Dick Les chaînes de l'avenir (The world Jones made) (J'ai lu)
Mots-clés : manipulations génétiques, mutants, précognition, totalitarisme, Vénus, XXIe siècle