Quatrième de couverture
Août 1926.
Chatham, Nouvelle-Angleterre, à quelques encablures du cap Cod : son église, son port de pêche et son école de garçons, fondée par
Arthur Griswald, qui la dirige avec droiture et vertu. L'arrivée de la belle Mlle Channing, venue d'Afrique pour enseigner les arts plastiques à Chatham School, paraît anodine en soi, mais un an
plus tard, dans cette petite ville paisible, il y aura eu plusieurs morts. Henry, le fils adolescent de M Griswald, est vite fasciné par celle qui va lui enseigner le dessin et lui faire
découvrir qu'il faut " vivre ses passions jusqu'au bout ".
Du coup, l'idéal de vie digne et conventionnelle que prône son père lui semble être un carcan. Henry assiste, complice muet et
narrateur peu fiable, à la naissance d'un amour tragique entre Mlle Channing et M Reed, le professeur de lettres qui vit au bord du Noir-Etang avec sa femme et sa fille. Il voit en eux " deux
figures romantiques, des versions modernes de Catherine et de Heathcliff ". Mais l'adultère est mal vu à l'époque, et après le drame qui entraine la chute de Chatham School, le lecteur ne peut
que se demander, tout comme le procureur : " Que s'est-il réellement passé au Noir-Etang ce jour-là ? "
Bien que
publié dans la collection Seuil Policier et construit de façon à laisser planer un mystère, ce roman tient plus de la chronique sociale et familiale. D'une certaine manière la quatrième de
couverture raconte l'essentiel du roman. Mais Thomas H. Cook excelle dans la manière qu'il a d'aborder ces années 20 dans une bourgade américaine où il n'est pas bon d'être jolie
et célibataire. L'écrivain dresse avec une finesse extraordinaire la psychologie de chacun de ses personnages. Mais plus que ça encore, il construit son histoire de façon à la rendre humainement
extrêmement touchante, bouleversante. Il joue avec la narration, utilisant les flashbacks, les souvenirs, créant une impression de nostalgie. Car c'est aussi une chronique de vie, celle d'Henry
avant même d'être celle de Melle Channing ou celle de M. Reed. C'est l'histoire d'un homme âgé qui revient sur l'adolescent qu'il était et qui, à l'arrivée d'un jeune professeur, va trouver ce à
quoi il veut se raccrocher pour échapper aux conventions imposées par son père. C'est le récit d'un "couple maudit", adulé, fantasmé, observé par l'oeil romantique d'un enfant en mal de
"liberté". Roman quasi initiatique sur le passage de l'adolescence à l'âge adulte, il est aussi une description très subtile de la passion dévorante et de la tragédie inhérente à cette
inconcevable situation dans ces années, réduite à une formulation des plus glaciales : l'adultère. Ce mot tranchant qui ôte d'un coup toute la beauté de l'amour, l'emplissant de souffrance et de
frustration.
Il existe de nombreuses figures emblématiques de ces relations passionnées, de ces amants maudits, adultérins ou non, en
littérature : Roméo et Juliette (Shakespeare), Catherine et Heathcliff (Les haut-de-Hurlevent, Bronté), Rodolphe et Emma Bovary (Madame Bovary,
Flaubert). Quelques fois la femme est fatale, meurtrière. A d'autres occasions, c'est l'homme qui est menaçant, rongé, suicidaire... et toutes ces histoires sont portées par des
caractères forts. Thomas H. Cook réussi là aussi un tour de force littéraire incroyable. Car il se garde bien de se focaliser sur Channing et Reed. En fait, en y regardant de
plus près, jamais il ne nous laisse seul en leur compagnie. Au sein même du roman, quoi qu'il se passe c'est la description de témoins. En premier lieu Henry mais aussi son père ou Sarah. Le
récit se crée au fur et à mesure des témoignages, des ressentis, des idées reçues, des rumeurs. Ainsi, Melle Channing n'est jamais décrite comme une femme diabolique autrement que par le
qu'en-dira-t-on. C'est une jolie femme, cultivée, libre, mais qui n'a en société aucune attitude déplacée. Elle n'est ni aguicheuse, ni vulgaire. Reed, lui, est un ancien de 14/18, au charme
incertain et affublé d'une grande cicatrice qui le desserre plus qu'autre chose. Ainsi ces deux figures sont décrites comme de simples quidams subissant plus que maîtrisant ce qu'il leur
arrive.
Les personnages secondaires, le père d'Henry, sa mère, Sarah, la petite bonne, la femme de Reed sont aussi finement étudiés. Mais c'est sans conteste le père qui est le plus riche, le plus
profond. Il nous est donné de l'observer par les yeux d'Henry avec une vision déformée par le rapport conflictuel qui s'insinue entre eux. Quoi qu'en fait ce soit juste du fait d'Henry, et
encore, intérieurement. Mais, avec le recul du lecteur, nous découvrons un homme honnête, droit, enclin à la compassion, là où d'autres utilisent la violence du jugement pour cacher leurs propres
frustrations.
Il ne serait pas surprenant que ce roman devienne "un classique" de la littérature romanesque et tragique car par sa forme il renouvelle le genre. Thomas H. Cook, tout en
dénonçant les mesquineries et les frustrations humaines placées dans une époque où elles étaient encore plus virulentes, tout en abordant le thème universel, voire intemporel, de la passion, nous
parle aussi de la "vie", celle qu'on se construit en fonction de nos propres choix ou de ceux qu'on nous impose. Il nous parle du poids du passé, de la rédemption possible ou non, des souvenirs,
des êtres que l'on croise au détour d'une tranche de vie et qui déterminent le reste de notre existence.
Ne passez pas à côté de cet auteur et plus particulièrement de ce titre. C'est une merveilleuse lecture.
Thomas H. Cook Au lieu-dit Noir-Etang... (The
Chatham School Affair) (Seuil Policiers)
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Mots-clés : adultère, amour/passion, années 20, couples maudits, récit initiatique
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